Deux solides personnalités : Ângela Rôrô et Ana Carolina.

Ângela Rôrô et Ana Carolina au Canecao (RJ), le 3/12
(photo Daniel A)

La célèbre salle du Canecão de Rio de Janeiro n’aurait sans doute jamais attiré la foule si Ângela Rôrô se serait produite seule sur scène, ce 3 décembre dernier.
Cela fait longtemps qu’ Ângela « la scandaleuse » ne fait plus vraiment recette tant chez les disquaires qu’auprès du public. En invitant la très populaire Ana Carolina, elle savait pertinemment que la donne serait bien différente. Ana était invité pour interpréter quatre titres, et l’annonce de cet évènement avait été martelée dans les divers médias. Ce jour-là, nous étions donc en présence de deux personnalités aux caractères bien trempés, dotées d’une voix à la résonance impressionnante. Parfois excessive diront certains...
Ângela Rôrô -de son vrai nom Ângela Maria Diniz Gonçalves- est apparue sur la scène brésilienne en 1979 comme la grande sensation de cette année-là. Son premier album –devenu un classique- révélait une chanteuse à la voix basse et rauque (d’où son nom d’artiste), puissante et lancinante, mais surtout une géniale compositrice de balades vénéneuses aux forts parfums de blues. Un fait peu commun pour l’époque, mais qui se banalisera dans les années 90 avec des artistes comme Zélia Duncan ou Cássia Eller.
Mais outres ses talents artistiques, c’est l’attitude d’Ângela qui ne laissera pas indifférent. Clamant son homosexualité sans pudeur à travers ses textes (comme dans Tola foi você, chanson dédiée à son amour d’alors, la chanteuse Zizi Possi), elle cultive une irrévérence qui bien évidemment régale son public, autant que ses véritables talents de chanteuse, compositrice et pianiste. Elle n’avait rien des interprètes 'proprettes' d’alors, et seule une Rita Lee pouvait prétendre jouer dans la même catégorie d’insolence. Mais même Rita s’était déjà un peu calmée. On était à l’aube des années 80, et la rousse de Sao Paulo interprétait le sucré Lança Perfume.
Pendant ce temps, Ângela reprenait un titre de Jobim qui semblait avoir été écrit pour elle: Demais (‘De trop’). « Les gens trouvent que je parle trop, que je bois trop…/que je vais de bar en bar/…que je ris trop fort, que je ne lâche pas la cigarette… ». Une attitude très rock’n’roll en somme qui traduisait parfaitement le mal de vivre de la chanteuse.

Le premier album d'Angela en 1979: un classique de la MPB.

Mais hormis son image c’est la grande qualité des compositions d’Angela qui impressionne. Dès son premier album, elle imposa des classiques de la MPB tel Amor, meu grande amor , Tola foi vocé , Á mim e mais ninguem , Gota de sangue (repris par Maria Bethânia) ou Mares de Espanha . Son second album la consacrera définitivement avec la plage titulaire Só nos resta viver, et pour son troisième, elle parodie ses propres frasques et l’exposition médiatique de sa vie privée avec « Escândalo » (1980), du titre bluesy que Caetano Veloso écrit pour elle. Tandis qu’en 1982-83 le rock brésilien s’impose sur le territoire national, Ângela cartonne encore avec Simples carinhos , une composition de Joao Donato, et produit encore ce qui sera sans doute son dernier grand album : « A Vida é mesmo assim », qui inclut le sublime Fogueira, repris lui aussi par Bethânia. Les rares albums qui suivront seront infructueux et Ângela s’engage alors dans une longue période sombre. On continue à parler d’elle, mais seulement au travers de ses débordements. L’alcool fait des ravages énormes avec toute la panoplie de dérives que cela implique.
Quand je suis rentré en contact avec sa musique, vers 1990, l’artiste n’était plus que l’ombre d’elle-même. Elle avait pris un poids considérable, et heureux était celui qui avait pu assister à un de ses shows en entier. Quand elle ne l’avait pas tout simplement annulé en dernière minute. Je fus plusieurs fois victime de ces désagréments.

La nouvelle Ângela...à l'eau (photo Daniel A)

Il aura fallu attendre presque 15 années pour revoir une Ângela au meilleur de sa forme et éloignée de ses excès. Fin des années 90, elle prend conscience qu’elle joue sa vie et se reconstruit avec un courage inouïs. En 2000, sort « Acertei no milenio » qui annonce sa renaissance qui comme l’indique son titre, montre qu’elle veut repartir à zéro à l’entame de ce nouveau millénaire. Un album très honnête. La chanteuse reprend le circuit des bars de Rio, le verre d’eau à la main et la ligne svelte. Pour le plus grand bonheur de ses fans, elle n’a rien perdu de sa gouaille ni de sa verve insolente. À nouveau, ses prestations valent autant pour son répertoire que pour ses longs intermèdes de commentaires qui frisent souvent l’humour graveleux. Bien heureusement l’alcool n’a en rien entamé ses capacités vocales. Ângela se présente aux côtés de nombreux artistes fameux de la MPB, mais l’inspiration vers de nouvelles compositions imparables semble absente. Ses albums de début de carrières sont réédités en 2002 par Universal, mais son dernier disque d’inédits « Compasso » de 2006, nous montre le fossé entre son nouveau travail et sa belle inspiration d’antan. C’est son répertoire de début de carrière qui attire toujours son public comme en atteste le dvd en public, « Ao vivo » de 2007, qui la voit en présence de Frejat, Alcione ou Luiz Melodia.
Ainsi, comme pour ce 3 décembre en compagnie de la star Ana Carolina, elle pu remplir gentiment le Canecão, comme elle pu le faire en d’autres occasions avec Elba Ramalho, en septembre dernier, ou encore Ivete Sangalo.

Maysa (1937-1977), un air d'Ângela...
la femme moderne, écorchée et ténébreuse.

Quoiqu’il advienne de sa carrière, Ângela Rôrô s’est inscrite désormais dans l’histoire de la Musique Populaire Brésilienne, comme étant de la lignée des Dolores Duran (1930-1959), mais surtout Maysa (1937-1977), symbole de ces femmes artistes émancipées, écorchées, créatrices géniales et chanteuses de talent, dont Ângela a pu cependant éviter la fin tragique.

ANA CAROLINA & ANGELA RôRô: "Compasso" (vidéo amateur)