mardi 14 octobre 2008

Cartola (1908-1980): Divine samba.

Angenor de Oliveira, ou Cartola (1908-1980)

Tandis que le Brésil continue à festoyer au rythme des 50 ans de la Bossa Nova, il commémore tout aussi justement, au travers divers événements, le centenaire de Angenor de Oliveira (1908-2008). Ce grand sambista, mieux connu sous le nom de Cartola, fut reconnu et plébiscité par ses pairs comme faisant partie des 20 personnalités les plus importantes de la musique brésilienne. Cette grande concertation avait été organisée par la revue « Isto é » en 1999. Cartola fut de ceux qui balayèrent mes préjugés d’entant, quand je rimais ‘samba’ avec rythmes frénétiques, prétextes à l’exhibition de sculpturales ‘mulatas’ qu’on nous servait en documentaires touristiques, ou dans des fêtes pseudo exotiques d’ambassades. De ces fêtes dans lesquelles je ne me suis jamais senti aussi loin du Brésil ! Des compositeurs de samba tels Paulinho da Viola, Candeia, Nelson Cavaquinho, Nelson Sargento ou Cartola, m’ont montré que leur art était riche d’un savoir-faire mélodique et harmonique qui n’avait rien à envier à la Bossa ou à n’importe quelle balade du monde de la musique pop. Ce n’est pas sans raison que le grand musicien de musique érudite contemporaine, Heitor Villa-Lobos (1887-1959) se rendait dans le ‘morro’ de la Mangueira, pour y rencontrer et écouter son ami dont il admirait la finesse des compositions. Il faut dire que l’ami Heitor n’était pas le dernier à vouloir s’encanailler loin des salons mondains !
Comme beaucoup de curieux qui s’initient à la MPB, mon entrée dans l’œuvre de Cartola s’est faîte au travers de deux de ses plus célèbres joyaux : ‘As Rosas nao falam’ (‘Les Roses ne parlent pas’) et ‘O Mundo é um moinho’ (Le monde est un moulin’), cette dernière dans la poignante interprétation de Ney Matogrosso accompagné par le grand guitariste Rafael Rabello (1962-1995), dont j’avais vu le concert lors de la tournée ‘A Flor da Péle’ en 1990. Il m’était difficile de croire qu’un autodidacte de la musique fut l’auteur de mélodies d’une telle beauté. Et je n’avais encore rien entendu…

Affiche du film "Cartola, musica para os olhos"

La vie de Cartola est digne d’un roman et fut d’ailleurs sujette à biographies, comédies musicales, et à un excellent film documentaire – «Cartola, musica para os olhos » - réalisé par Lirio Ferreira et Hilton Lacerda, en 2007.
La vie de l’artiste est liée de manière fusionnelle au quartier de Mangueira, dont il fut l’un des fondateurs de l’école de samba en 1928. C’est à lui que l’on doit les couleurs officielles de celle-ci : le vert et le rose, couleur du manguier, tout simplement. L’Estaçao Primeira de Mangueira reste toujours indubitablement l’école de samba la plus populaire au monde. Elle est à la samba, ce que le club du Flamengo de Rio est au football brésilien.

Cartola, à 11 ans, s'établit à la Mangueira

En 1919, à 11 ans, il s’installe donc à la Mangueira et mène déjà une vie de bohème qu’il partagera avec un de ses plus fidèles complices, le parolier Carlos Cachaça.
Après avoir composé pour le défilé de 1928, ‘Chega de demanda’, il fut très rapidement recherché pour ses talents de compositeur par de grandes vedettes et chanteurs de l’époque tel Mario Reis ou Francisco Alves, qui lui apportera son premier grand succès populaire avec ‘Divina dama’ en 1933. Une petite perle que j’ai connu pour la première fois à travers la voix de Chico Buarque en 1997 sur l’album « Chico Buarque da Mangueira » (mieux vaut tard…) Ces années 30 furent décisives pour Cartola. Il compose pour Aracy de Almeida, Silvio Caldas, Carmen Miranda et travaille avec le grand Noel Rosa (1910-1937). En outre, il se produit sur les ondes de la Radio Nationale de Rio et présente des programmes en compagnie de Paulo da Portela (fondateur de l’école de samba Portela) et d’Heitor dos Prazeres, compositeur et célèbre peintre de la vie de bohème carioca. Mais en 1946, on ne le rencontre plus…L’artiste est atteint d’une méningite et son premier grand amour, Déolina, décède en 1946. Ces événements le tiennent éloigné de la samba et de la Mangueira pour plus de dix ans. Tandis qu’il en en est réduit à laver des voitures dans le quartier d’Ipanema (RJ), le célèbre journaliste Sérgio Porto le retrouve mal-en-point, et décide de le remettre sur les rails.

L'inséparable couple: Cartola et Dona Zica.

Nous sommes en 1956 et Cartola se remet à composer et à reprendre la radio. C’est aussi l’époque où il rencontre Eusébia Silva de NascimentoDona Zica- avec qui il vivra jusqu’à la fin de ses jours. Avec elle, il mettra sur pied en 1964, le restaurant « Zicartola », qui sera le haut lieu de rencontre de la fine fleur de la samba, dans le centre ville de Rio de Janeiro.

Le menu du restaurant "Zicartola"
dessiné par Heitor dos Prazeres (1898-1966)

C’est à cette adresse, dans la bien nommée ‘rue du carioca’, qu’un certain Paulinho da Viola fera ses première armes.
De cette époque datent d’autres bijoux comme ‘O Sol nacera’ (‘Le soleil apparaîtra’) composé avec Elton Medeiros, qui connaîtra plus de 600 versions ; ou encore ‘Alvorada’, autres pièces d’anthologie de la samba. À cette époque, la Bossa Nova commence à s’essouffler, et certains de ces acteurs comme Carlos Lyra et Nara Leão délaissent les appartements de la zone sud de Rio pour s’intéresser à la musique des ‘morros’ et à ses grands sambistas comme Nelson Cavaquinho, Zé Kéti ou Cartola lui-même. Les compositions de ce dernier allaient encore être portées par des cadors comme Clémentina de Jésus, la grande Clara Nunes ainsi que Gal Costa, Caetano Veloso, Emilio Santiago et bien d’autres encore… De façon assez inexplicable, ce n’est qu’en 1974 que Cartola enregistre son premier album sous son nom (il en sortira quatre dont un en public). Et c’est aussi à cette époque déjà tardive qu’il composera les deux classiques que j’ai cité au début de ce post : 'As Rosas nao falam 'et ' O Mundo é um moinho', qui prouvent son éternelle finesse de mélodiste, mais aussi sa subtilité en tant que poète. Malgré son talent et sa reconnaissance, il ne gagna sa vie que très humblement (les droit d’auteurs n’étaient pas régis comme maintenant), mais l’Etat de Guanabara, à l’époque, lui octroya un terrain dans la Mangueira pour qu’il puisse réaliser son rêve : construire une maison aux couleurs de son école de samba tant aimée, peinte de vert et de rose. Les hommages depuis son décès en 1980 furent innombrables. Cependant, je me permets de conseiller l’album « Beth canta Cartola » (2003) de Beth Carvalho, ainsi que l’album et le dvd entièrement dédié au compositeur par le grand interprète Ney Matogrosso (2002).

Ney Matogrosso interprète Cartola (2002)

Cette année parmi les compilations et les hommages commémorant le centenaire de sa naissance, vient également de sortir le très bel album « Angenor » de Cida Moreira. Cartola reste essentiel à mes yeux, pour élargir notre vision de la samba, et nous emmener vers d’autres compositeurs incontournables…et d’autres émerveillements !

En écoute (à droite), As Rosas nao falam et Tive sim par Beth Carvalho et Luiz Melodia.


Ney Matogrosso: "Basta de clamares inocência" (Cartola)



Cartola: "O Mundo é um moinho"

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Magnifique message Daniel! Informatif et de la musique plein les oreille! J'adore!! Jacques

Anonyme a dit…

Qui est le "senhor" au côté de Cartola, Daniel? Super beau ce post...
A + , cousin Hub

Márcio a dit…

Très informativ le post, Daniel! Je pense que Cartola a 4 disques dans sa dicographie officielle:

1 - Cartola - 1974/Marcus Pereira
2 - Cartola - 1976/Marcus Pereira
3 - Verde que te quero rosa - 1977
/RCA
4 - Cartola 70 anos - 1979/RCA

Il y a d'autres (compilations, programmes à la radio, enregistrements de shows), mais sont 4 les disques qu'il a enregistré au studio.

Daniel Achedjian a dit…

Salut à toi cousin Hub! Le senhor n'est autre que le père de Cartola...

Daniel Achedjian a dit…

Merci Marcio, tu as raison! Parfois on n'en mentionne que trois. Il faut toujours vérifier ses sources, n'est-ce pas...Le plus sûr fut d'aller dans ma propre discothèque pour confirmer que tu avais avais vu juste...valeu!

Anonyme a dit…

Maravilhoso texto e belíssimas imagens, Daniel. Me parece que existe praticamente um consenso aqui no Brasil sobre "as duas grandes" composições de Cartola: "As Rosas não Falam" e "O Mundo é um Moinho". Do filme do Lírio Ferreira, uma cena inesquecível é essa do reencontro entre pai e filho!
Emocionante post. Beijos.

Anonyme a dit…

Daniel...peguei a nova edição da Rollingstone brasileira pra vc...Gilberto Gil na capa...mas acho que vc não vai gostar tanto oquanto eu não gostei.
Seguinte: Um juri de dezenas de jornalistas, elegeram os 100 principais artistas da história da MPB...Zeca Baleiro não estava ali...em seu lugar, colocaram: Mano Bronw...Marcolo D2...DJ Marlboro...Daniela Mercuri entre outros.
Amanhã, com calma, escreverei para a redação da revista...esses caras vão ouvir poucas e boas!
Abraço!

CE BLOG EST DÉDIÉ AUX CURIEUX QUI AIMERAIENT CONNAÎTRE L'ART ET LA MUSIQUE POPULAIRE BRÉSILIENNE. UNE OCCASION POUR LES FRANCOPHONES DE DÉCOUVRIR UN MONDE INCONNU OU IL EST DE MISE DE LAISSER SES PRÉJUGES AU VESTIAIRE.