samedi 9 août 2008

À la recherche de la nouvelle star…

Clara Nunes (1943-1983): le chant des sirènes

À chaque retour du Brésil, je peux généralement m’attendre, au détour d’une conversation, à la même interrogation: quoi de neuf musicalement au pays de Tom Jobim, et quelles nouvelles tendances ai-je pu entrevoir. Cette fois-ci, je me suis moi-même posé la question -avant de repartir dans quelques jours- en préparant la liste des artistes que je souhaitais rencontrer. Mais depuis la fin des années 90, mon temps de réflexion se fait de plus en plus long. Non pas qu’il y ait un manque de créativité, mais ce qui m’apparaît comme intéressant ressemble davantage à de petits îlots sans réelle cohésion. Depuis 2000, sont apparus d’excellents compositeurs, beaucoup d’excellents disques importants, et quelques bonnes chanteuses dont le talent, hélas, a du mal à passer le cap du premier ou du deuxième album. Dès lors la question que je me pose est la suivante : ai-je vécu des moments aussi excitants et découvert des révélations aussi palpitantes que dans la décennie précédente ? Un article paru dans le journal Globo à la date du fameux 08/08/08 constatait que tant au Brésil qu’internationalement, le public était depuis le début de ce millénaire, en mal de nouvelle star à aduler. Et de citer Elvis, les Beatles et les Stone, Jimmy Hendrix, Madonna, Prince, ou Michael Jackson. De fait, il fallait se rabattre sur Amy Winhouse pour trouver une artiste qui semblait faire l’unanimité sur son talent. Une ‘mania’ attisée par son look soul/punk et son autodestruction très ‘rock attitude’. Ce sont certes des comportements qui peuvent, à une certaine dose, construire une légende, sauf qu’ici, la chanteuse n’arrive pas à voir la fin de son mal-être ; et que ces faits navrants occulteront -si elle ne s’en sort pas- ce qu’elle aura apporter sur la scène musicale. Deux disques et beaucoup de ‘substances’ : c’est sans doute un peu léger pour figurer au panthéon des illustres noms citer plus haut. Tant qu’à parler de ‘rock attitude’, on préférait voir Pete Townsend (The Who) casser sa guitare sur scène, ou Jimmy Hendrix mettre le feu à la sienne. Du côté du Brésil, il est bien difficile de définir qui, ces dix dernières années, possède la carrure pour devenir une nouvelle gloire nationale digne de figurer dans cette galaxie tropicale où brillent des Joao Gilberto, Tom Jobim, Noel Rosa, Luis Gonzaga, Dorival Caymmi, Caetano Veloso, Chico Buarque, Gilberto Gil, ou Roberto Carlos, pour ne parler d’abord que des hommes. Bien sûr un Lenine, Zeca Baleiro, ou Chico César, ont une œuvre fondamentalement originale et très importante, mais leur musique -même si elle s’inspire de tradition très populaire et régionale –n’en paraît pas moins hermétique pour la plupart. Ce sont des artistes sans concession musicalement et, pour un large public, parfois trop riches en références de cultures ancestrales ou étrangères. Bref parfois trop intellectuel. Leur œuvre n’est pas faite pour concilier le plus grand nombre, et ces excellents artistes ne sont dès lors pas des machines commerciales. Finalement les vraies icônes ou stars nées des années 80 et 90, sont celles qui ont vu leurs destins se briser : Cazuza, Renato Russo et Cassia Eller, trois héros de la génération rock, qui ont brûlé leur vie tel un Jim Morisson ou une Janis Joplin. Mais alors ‘quid ?’ d’une Ivete Sangalo ou d’une Ana Carolina qui pulvérisent les records de ventes depuis plusieurs années ?

Ivete Sangalo: une présence scénique indiscutable
pour un répertoire qui l'est beaucoup moins...

Si Ivete est une show-woman sans égale qui possède une voix puissante et séduisante, sa musique bahianaise dansante est loin d’atteindre des sommets de qualité. Je mets ici en cause les compositions et non le style en lui-même. Autre rare artiste qui peut se permettre de vivre de ses albums, Ana Carolina, représente un cas un peu différent. Après trois très bons disques de MPB/ Pop, où elle a pu démontrer un vrai talent de compositeur et d’interprète qui l’ont propulsée au-devant de la scène, elle s’endort sur ses lauriers et – repue- devient comme Ivete Sangalo une chanteuse à formule. Et pire encore, elle essaye compenser son manque de créativité par une attitude et des textes soi-disant subversifs, frisant une vulgarité aussi pâle qu’inutile. Madonna -à qui elle fait référence- avait déjà joué cette carte bien avant, et de manière plus convainquante. Ce qui me fâche, c’est que j’aime vraiment ces chanteuses, qu’elles ont du talent, qu’elles m’ont fait vibrer il y a quelques années, mais qu’elles gâchent -comme Vanessa da Mata- un vrai potentiel, pour répondre à une forte attente commerciale. Sans doute devront-elles faire payer le prix de perdre une partie de leur public pour pouvoir développer leur talent et aborder d’autres chemins comme su si bien le faire Daniela Mercury. J’avais d’abord voulu intituler ce post « la MPB à succès prend du poids… », mais, un peu lâche, je ne voulais me fâcher avec personne ! Dès lors, pour parler de grandes divas, et revenir à l’article du Globo, quelle chanteuse, à l’entame de ce siècle, peut encore espérer avoir l’aura, et le charisme d’une Carmen Miranda, Maria Bethania, Gal Costa, Clara Nunes ou Elis Régina ? Si l’apparition de chanteuses -en nombre presque absurde- est une des particularités de la scène brésilienne de ces dernières années, peut-on y déceler une jeune pousse qui alliera talent et succès populaire ? Si de ce côté-là, ce n’est pas l’optimisme qui prévaut, ayons un peu de patience pour voir si les plus prometteuses d’entre elles arriveront à passer le cap des deux premiers albums. N’oublions pas qu’il aura fallu au moins 3 ou 4 disques pour que Elis, Bethania ou Clara Nunes se fassent un nom, et le double pour qu’elles atteignent une vraie reconnaissance nationale.

Marisa Monte: la dernière grande diva?

À tout bien considérer, la dernière grande diva, issue des années 90, reste incontestablement Marisa Monte : forte personnalité, grâce et charisme sur scène, voix d’un timbre exceptionnel et d’une technique irréprochable, le tout pouvant se fondre dans n’importe quel style musical : pop, rock, samba, ou chorinho ; elle –oui !- allie talent et succès populaire. Sans oublier son sens inné de la composition que n’avaient pas les illustres chanteuses précitées. Marisa est une interprète mais aussi une musicienne. Quant à ces dernières années, beaucoup évoquent Roberta Sa, dont on parlera prochainement, mais il me paraît plus opportun d’évoquer ici Maria Rita, sans doute la seule de ces 5 dernières années à pouvoir prétendre à un statut prometteur. Elle n’aura probablement jamais le charisme de Bethania ou de Clara Nunes, mais elle possède cette classe et surtout une maîtrise de sa carrière qui font penser que le meilleur est encore à venir. Avoir pu gérer et contrôler le lourd fardeau laissé en héritage par sa mère Elis Regina –considérée par beaucoup comme la meilleure chanteuse de tous les temps au Brésil-- montre sa détermination à vouloir construire une belle carrière d’interprète. Je sais que tout ceci ne répond pas aux nouvelles tendances posées dans la question initiale de ce post, mais cette introduction tend à prouver que s’il n’y a plus de grands feux de joie autour desquels tout le public se rassemble, la scène brésilienne actuelle est faite de petites lumières naissantes dont le halo reste cependant très attractif. J’aimerais voir cela de plus près dès le prochain message…


Clara Nunes: "O Mar serenou"

Marisa Monte: "A Sua"

4 commentaires:

charles a dit…

Salut Daniel,

Je ne m’étais jamais posé la question. Mais c’est vrai que finalement, malgré l’incroyable abondance de jeunes talents, il y en a peu qui sorte du lot comme Marisa Monte. Elle est incontournable aujourd’hui.

J’aurais quand même envie de citer Lenine, malgré les réserves que tu as émises. Je peux me tromper, mais j’ai l’impression qu’aujourd’hui c’est un des compositeurs les plus chanté par la nouvelle génération. Et pas seulement d’ailleurs. « Jacksoul brasileiro » ou « Lavadeira do rio » sont devenu des petits classiques, non ?
J’aurais envie de faire un parallèle avec Milton Nascimento. Il me semble que c’est un des artistes les plus apprécié par les brésiliens. Pourtant, je découvre depuis quelques temps ses disques des années 70 et les trouve très aventureux ( donc pas si accessibles que çà ). Est-ce que c’étaient ces disques-là qui l’ont rendu si populaire ou certaines de ses chansons devenues des succès grâce à Elis Régina ( pour ne citer qu’elle ) ? Le répertoire de Lenine va peut-être lui apporter plus de succès que ses propres disques.

Parmi les jeunes chanteuses, il y en a une que j’aime tout particulièrement. C’est la bahianaise Mariene de Castro. Tu la connais ? Elle n’a fait qu’un seul disque pour l’instant, « Abre caminho » en 2004. Un premier CD de grande qualité, d’une grande variété de styles ( quoique toujours très bahianais ). Seulement deux ou trois chansons assez faibles. Elle semble prendre son temps pour en faire un deuxième ( ce qui est bon signe ). Je suis persuadé que cette petite ira loin et qu’il faudra compter sur elle à l’avenir. Bon, de là à devenir une star, peut-etre pas…Mais une interprète de qualité. Sa jolie voix grave porte loin, tout en souplesse et précision. Quand à sa prestance sur scène, j’espère te convaincre avec cet extrait :
http://fr.youtube.com/watch?v=xvWGF_ULuOI

Daniel Achedjian a dit…

Bonjour Charles! Je suis mille fois d'accord à propos de Lenine, comme je le serais tout autant par rapport à Zeca Baleiro. Ce dernier est non seulement un compositeur exceptionnel mais un parolier qui pourrait jouer dans la même division que Chico Buarque! Les deux premiers albums que Lenine a sorti en 1993 (Olhos de peixe) et 1997 (O Dia em que faremos contatos"), ont pour moi été très important pour la MPB. De vrais secousses sismiques!. Mais dans le post, je parle de ceux qui font une unanimité nationale. Dans le peuple même. Et la puissance et la rudesse d'un Lenine n'est pas du goût de tout le monde. Mais nous sommes bien d'accord sur son incontestable et énorme talent! C'est aussi un producteur très recherché puisque, tu dois le savoir, il a produit le dernier Maria Rita, Elba Ramalho, et le prochain Pedro Luis e a Parede, autre balise importante des années 90. "Labiata" le prochain album de Lenine sort en septembre.
Je ne connais pas Mariène de Castro, et je m'en vais de ce pas voir cette chanteuse...Merci de ta visite, et n'hésites pas à nous éclairer de tes lumières! Abraço...

Márcio a dit…

Salut Daniel! Tous les jours, à la presse, aux blogs, en youtube, on voit plusieurs nouvelles chanteuses brésiliennes. Il y en a beaucoup qui disparaitrent rapidement, pendant que quelques autres trouvent ses niches et y restent toute leur vie, pas merveilleusement, mais pas péniblement non plus. Un peut comme veut prouver la théorie de la longue traîne. Est-ce qu'il y aura d'autres chanteuses du Brésil qui combineront qualité et popularité, comme Clara Nunes et Maria Bethânia (populaires dans quelques périodes de la vie profissionelle, bien dit)? Pas probable, à mon avis. Je trouve la diversité plus riche, plus salutaire.
Je respecte Ivete Sangalo beaucoup, parce qu'elle n'a pas peur de la popularité, ce qui se passet souvent parmis les artistes. On peut critiquer ce qu'elle chante, mais elle transpire vérité. Son charisme est unique. Une style completement differente de celle de Marisa Monte, qui a une belle voix, une repertoire presque parfait, mais presque aucun charisme. MM et Ivete sont complementaires, je dirait.
Je suis d'accord avec Charles: Mariene de Castro mérite attention. Son prémier CD, je le trouve irrégulier, mais sa participation dans le DVD de Beth Carvalho enregistré à Salvador (mon préferé de 2007) est super! C'est vrais que c'est impossible de suivre tout qui se passe musicalement au Brésil, mais beaucoup de fois la combination de Rio de Janeiro + São Paulo n'est pas suffisant pour nous donner une vision complète. Il faut aller plus loins.

Daniel Achedjian a dit…

Salve Marcio! Maintenant que tu me parles de Mariène de Castro dans le Dvd excellent de Beth Carvalho, je sais qui elle est! Je ne me souvenais pas du nom de cette chanteuse, merci de cette information! C'est vrai que le Brésil est tellemnt grand, qu'il se passe sûrement des choses passionantes hors de l'axe Rio-SP. D'ailleurs quand il y a de une rénovation dans la MPB, c'est souvent du Nordeste que cela vient. Dommage que le répertoire d'Ivete est si faible car je suis d'accord quant à son charisme et sa présence. Personnellement je trouve que Marisa Monte possède aussi un charisme, plus contenu, plus gracieux, mais c'est une question d'appréciation personnelle. Abraço, Marcio, e volte sempre!

CE BLOG EST DÉDIÉ AUX CURIEUX QUI AIMERAIENT CONNAÎTRE L'ART ET LA MUSIQUE POPULAIRE BRÉSILIENNE. UNE OCCASION POUR LES FRANCOPHONES DE DÉCOUVRIR UN MONDE INCONNU OU IL EST DE MISE DE LAISSER SES PRÉJUGES AU VESTIAIRE.